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Mathis Pettenati

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Mardi 19 mars 2024, dans l’atelier Blanc/Nielsen aux Beaux Arts de Paris. Il est 14h30. Dans un coin de la pièce, au bord d’une fenêtre, des petits tableaux sont accrochés au mur, d’autres semblent sécher sur un desserte à roulettes.

J’ai commencé à travailler en avril 2023 sur un ensemble de petits tableaux que j’ai continué à alimenter dès mon arrivée aux Beaux-Arts de Paris en septembre dernier. Cette envie est arrivée assez spontanément dans mon atelier de Bruxelles au moment où je commençais à m’ennuyer dans
ma production de grands tableaux plus dessinés. Ce travail correspond à un virage dans ma pratique d’atelier. Je voulais réussir à me satisfaire en chan- geant ma méthode de travail pour ainsi m’éman- ciper de mes moyens de production. En regardant autour de moi, mon attention s’est posée sur des objets qui traînaient dans l’atelier : des chutes de toile et de panneaux de bois, des chiffons, des vieux tubes d’huile.

Le processus est assez simple : je tends des chutes de toile sur ces morceaux de panneaux de bois, je colle dessus des chiffons tachés et je les peins. Sur ces assemblages, je dessine des phylactères dans lesquels vont venir se loger des paysages semi-abstraits – toujours dessinés en détourant des objets de l’atelier (pots de peinture, plateaux) – et je les remplis d’huile. Il y a une notion dont parlait Sterling Ruby en évoquant ses cimetières de céramiques ratées grâce auxquels il faisait de nouvelles sculptures d’archéologie d’atelier. Cette pratique pourrait se rattacher à mon travail de petits formats en peinture. J’aime bien me dire que tout est déjà présent dans l’atelier et qu’il me faut entreprendre quelques fouilles pour faire naître

de nouvelles pièces. L’objet bulle de bande dessinée, que l’on peut aussi identifier comme une bulle de SMS, m’a beaucoup aidé à m’émanciper du dessin dans les tableaux. Elle me permet de garder un référent figuratif – le sujet est la bulle – et d’y intégrer des images plus abstraites. Je parviens ainsi à me concentrer sur ce qui m’anime réellement en ce moment : des problématiques assez propres à ce médium ; celles de la couleur, de la com- position et des matières. Le fait qu’on puisse difficilement identifier ce que l’on voit me fait penser qu’on se trouve souvent au point de bascule entre la disparition d’une image et sa révélation. Petit à petit, les formats s’agrandissent, je travaille actuellement sur deux grands tableaux en essayant de les traiter avec une méthode de travail semblable à celle que je viens d’évoquer.

Sur le même mur, reposent deux grands collages encadrés. Quand j’ai choisi d’opérer un changement dans ma méthode de travail avec ces nouveaux petits tableaux, je cherchais également à établir un lien entre ma peinture et un travail de collage qui était jusqu’à présent en marge du reste de ma production. Ces collages sont réalisés à partir de tickets de caisse liés à la consommation que je collecte et que j’assemble pour en faire de grands formats sur lesquels je vais pouvoir dessiner à l’aide d’une flamme. Les tickets de caisse sont imprimés sur du papier thermique : ils réagissent donc à la chaleur. Ce projet me suit depuis plusieurs années, il est arrivé à la suite d’un voyage où je gardais les témoins de mes dépenses. À mon retour dans l’atelier, je voulais vraiment faire quelque chose avec, leur potentiel graphique m’intéressait beaucoup. Très vite, j’ai commencé à m’amuser avec leurs propriétés chimiques. Je me suis rapidement rendu compte qu’une fois trop exposés à la lumière, les tickets perdaient leur noir et devenaient jaunâtres. J’aime bien l’idée de la disparition du dessin avec le temps. Il s’agit ici d’illustrations d’arbres qui naissent par le feu et qui sont voués à dis- paraître. Dans le dernier collage, que j’ai réalisé pour l’exposition The Third Garden au Frac Sud en mars 2023, j’ai inséré des photos argentiques de paysages, urbains ou naturels, que j’ai réalisées pendant plusieurs années depuis mon adolescence.
La notion de souvenir est bien présente dans ce travail, des souvenirs qui s’altèrent avec le temps. Ces arbres mourants – voire déjà morts brûlés – sont presque 
des vanités qui se décomposent avec les années.

Par Mathis Pettenati